Du 2 au 5 mai 2022, la Cellule d’appui à la petite forêt privée a accueilli une délégation de forestiers du Parc naturel régional du Massif des Bauges (Savoie & Haute-Savoie). Compte-rendu!
Le territoire du Parc naturel régional du Massif des Bauges dispose d’une longue expérience en matière de regroupement forestier. Plusieurs « associations syndicales libres de gestion forestière » ont été mises en place sur le territoire, dont la « Forestière du Val Laudon », qui a été visitée par la Cellule d’appui en 2017 et qui a depuis lors servi de base de réflexion pour la mise en œuvre d’associations forestières sur les communes de Gesves-Assesse-Ohey (en collaboration avec le GAL Pays des Tiges et Chavées) et sur les communes de Spa et Stoumont (en collaboration avec le Parc naturel des Sources).
Outre différentes visites en forêt et au sein d’entreprises de la filière bois wallonne, deux questions ont fait l’objet d’échanges plus approfondis au cours de ce séjour des forestiers du Massif des Bauges :
- Comment mettre en œuvre le regroupement forestier en petite forêt privée ?
- Quels sont les partenariats à développer entre des organismes de développement forestier et des structures d’animation territoriale ?
Ces deux thématiques ont été approchées lors de deux ateliers organisés avec deux partenaires de la Cellule d’Appui (le GAL du Pays des Tiges et Chavées et le Parc naturel des Sources) et animées avec l’aide du Réseau wallon de développement rural.
Atelier sur le regroupement forestier à Assesse (GAL Pays des Tiges et Chavées)
Un atelier a été mené à Assesse, au sein de la propriété d’un des membres de l’association forestière des Tiges et Chavées, afin de croiser les regards wallons et français sur le regroupement forestier. Des sous-groupes ont été constitués : propriétaires, représentants des propriétaires, structures d’animation territoriale, gestionnaires et organismes d’accompagnement des propriétaires. Les questions portaient sur les objectifs du regroupement, les facteurs de réussite des projets de regroupement, la pertinence d’élaborer un plan de gestion, l’impact des aides publiques, le rôle des professionnels de la gestion forestière et la pérennité des groupements.
La définition du regroupement a dû être d’emblée précisée : le regroupement foncier ou remembrement, trop complexe à mettre en œuvre et aux résultats mitigés, a été écarté des discussions. L’atelier a porté sur le regroupement des propriétaires pour la gestion, au travers d’actions ponctuelles (comme celles menées par la Cellule d’appui en Wallonie ou par les CRPF et Chambres d’Agriculture en France) ou via la mise en œuvre d’associations pérennes (comme notamment les « associations syndicales libres de gestion forestière » existant en France). La mise en société avec un statut de « groupement forestier » n’a pas été abordée vu les difficultés à l’implémenter en petite forêt privée. Cependant les forestiers des Bauges ont évoqué l’acquisition en commun de parcelles au sein de leurs associations forestières, notamment dans le cadre de projets d’amélioration de desserte mais aussi pour permettre à des personnes qui n’étaient pas encore propriétaires de prendre part au regroupement.
Le rôle primordial des structures d’accompagnement technique et d’animation territoriale a été souligné, notamment pour entrer en contact avec les propriétaires. Une différence notable existe cependant entre la France et la Wallonie puisque les organismes tels que les Centres Régionaux de la Propriété Forestière et les Chambres d’Agriculture disposent des informations cadastrales, au contraire de leurs homologues wallons. Les structures d’accompagnement et d’animation permettent en outre de pérenniser les regroupements même si l’auto-portage par les propriétaires doit également être recherché. En France, les associations syndicales de gestion forestière sont animées par les CRPF ou/et Chambres d’Agriculture, grâce à des financements publics (pérennes dans le cas des Chambres d’Agriculture).
Au niveau des finalités du regroupement, l’ensemble des participants ont évoqué le réseautage et le partage d’expériences. Les objectifs économiques ont été mentionnés, non seulement dans un but d’obtenir un meilleur revenu mais, parfois aussi, pour rendre possible certains travaux, dans les meilleures conditions. Les professionnels (gestionnaires et structures d’accompagnement technique) ont cité les différents objectifs à poursuivre : disposer d’accès aux parcelles (desserte), envisager les coupes et travaux, favoriser le partage d’expériences et mettre en œuvre le cas échéant des mesures de restauration écologique. Pour ces opérations groupées de gestion forestière, les entreprises forestières interviennent en deuxième ligne, après le travail de mobilisation des propriétaires par les organismes d’accompagnement.
Au niveau de la planification des opérations de gestion, une différence importante existe entre la France et la Wallonie, y compris en petite forêt privée : l’obligation de disposer d’un document ou plan de gestion, notamment pour obtenir des aides publiques. Une autre différence réside dans le fait que les associations forestières existantes (« Associations syndicales libres ») en France sont des associations de parcelles et non de personnes. Ce statut, qui n’existe pas en droit belge, permet au propriétaire de conserver son titre de propriété (contrairement à l’échange d’un titre de propriété contre des parts de sociétés dans un groupement forestier) mais tout en permettant d’inscrire ses parcelles, s’il le souhaite, dans un programme de coupes et travaux. Il conserve cependant la possibilité de faire ses propres coupes, par exemple de bois de chauffage, mais dispose d’une feuille de route que lui et ses successeurs suivront. Cela jette les bases d’une gestion durable qui est par contre beaucoup plus difficile à mettre en œuvre sur le moyen terme dans le cadre d’opérations de gestion groupée ponctuelles ou répétées périodiquement, sans plan de gestion.
En ce qui concerne les aides publiques, l’ensemble des parties prenantes à cet atelier affirment leur impact positif dans la mise en œuvre du regroupement forestier, en distinguant le financement indispensable des structures d’accompagnement et les aides parvenant directement aux propriétaires. Les forestiers des Bauges ont expliqué à ce niveau les aides non négligeables consacrées à l’amélioration de la voirie et au reboisement, avec un système de bonification pour les propriétaires adhérant à un groupement.
Cet atelier s’est clôturé en présence de la Ministre Céline Tellier, particulièrement à l’écoute de la riche expérience des forestiers du Parc naturel régional du Massif des Bauges et qui a montré un intérêt par les tentatives de transfert de ces modes de regroupements en Wallonie via la mise en œuvre des Associations forestières des Tiges et Chavées et des Sources. Ces deux premières associations, amenées à se développer et à se répliquer sur d’autres territoires, ont tout à gagner d’un partage d’expériences avec leurs homologues françaises, plus abouties et intégrées dans le paysage forestier. Les partenariats entre la Cellule d’appui et les GAL et parcs naturels dans la mise en œuvre de ces regroupements ont été présentés à la Ministre Tellier avant de faire l’objet d’une table ronde plus large à Bérinzenne
Table-ronde sur les synergies entre organismes forestiers et structures d’animation territoriale à Bérinzenne (Parc naturel des Sources)
Un deuxième moment d’échanges riche a eu lieu entre Français et Wallons au Parc naturel des Sources sur la thématique des synergies entre les organismes forestiers et des structures territoriales, telles que les GAL et les Parcs naturels, dans les projets territoriaux relatifs à la forêt privée.
La table ronde a débuté par la présentation de deux projets menés au niveau wallon : le projet « filière bois » du GAL Pays des Tiges et Chavées et le projet de mise en place de l’Association forestière des Sources par le Parc naturel des Sources et la Cellule d’appui. Les synergies entre acteurs ont été présentées tout en évoquant la difficulté de pérenniser ces projets dans le temps si les structures porteuses ne disposent pas des moyens humains et financiers.
Jean-François Lopez et Caroline Salomon, respectivement directeur adjoint et chargée de mission forêt-filière bois-desserte du Parc naturel régional du Massif des Bauges, ont ensuite présenté leur expérience et leur mode de fonctionnement dans les projets de territoires liés à la forêt privée.
Jean-François Lopez a présenté le concept de parc naturel régional en France comme un outil à la fois de développement et de protection de territoire, avec un équilibre à trouver entre les deux. Il s'inscrit dans le droit commun. Les valeurs qui guident le parc naturel dans ses actions sont le partage et la pédagogie, l’anticipation à moyen et long terme, l'analyse systémique des projets dans leur contexte, l’appel à l’expertise de chacun. Le parc naturel ne se substitue donc pas à des organismes forestiers (ou autres acteurs disposant de leur expertise technique) mais se positionne en « médiateur ». Il peut aussi être chef de file pour des thématiques prioritaires comme la préservation de la biodiversité, des ressources naturelles (y compris forestières) des paysages. Les objectifs et la stratégie de développement du parc sont élaborés avec l’ensemble des acteurs, définis pour 15 ans dans la « charte du Parc » et déclinés en actions dans une charte forestière de territoire elle aussi concertée, et dans laquelle les missions et les rôles de chacun sont clairement définis. Des réunions régulières de concertation permettent de réunir les acteurs concernés et de suivre les projets en assurant une communication étroite entre les acteurs.
Caroline Salomon, chargée de mission « forêt, filière bois, dessertes » au sein du PNR du Massif des Bauges, a présenté quelques-uns des projets forestiers développés ces dernières années.
L’amélioration de la desserte constitue, en zone de montagnes, un volet important du développement forestier. Dans de tels projets, le rôle d’animateur du Parc est primordial (concertation avec l’ensemble des parties prenantes, expertise pour le montage de dossiers de subvention ou pour l’évaluation de l’impact environnemental) tandis que les organismes forestiers et les groupements de propriétaires remplissent leurs missions de mobilisation des propriétaires et d’expert au niveau des contraintes techniques.
En matière de gestion des épicéas scolytés, les organismes forestiers (Centre régional de la propriété forestière et Chambre d’Agriculture) ont organisé des exploitations forestières groupées alors que le Parc a mené différentes actions de sensibilisation et d’information sur la problématique (justification des coupes dans un périmètre à haut intérêt paysager). Une analogie peut être faite ici avec les actions menées conjointement par la Cellule d’appui et le Parc naturel des Sources en 2019.
D’autres projets comme notamment l’intégration de la biodiversité dans les pratiques sylvicoles ont également été menées par le Parc naturel régional du Massif des Bauges et les organismes forestiers, toujours en parfaite concertation.
Enfin un important volet de sensibilisation du grand public à la gestion forestière et à la conciliation des usages (terminologie plus positive que les « conflits d’usages ») en forêt a été mené par le Parc naturel du Massif des Bauges depuis quelques années, en partenariat avec les acteurs du monde forestier (témoignage de propriétaires dans des séquences vidéo « Bienvenue dans ma forêt », panneau « Bienvenue chez nous » avec consignes d’usage pour des chemins privés, visites de chantiers d’exploitation appelées « Vis ma vie de bûcheron », etc.).
De l’avis des propriétaires français présents à cette table-ronde, le Parc fédère l’ensemble des acteurs du territoire et les organismes forestiers accompagnent les propriétaires avec leur expertise technique.
Les représentants wallons d’organismes forestiers et de structures d’animation territoriale ont retenu de cette présentation l’importance accordée par leurs homologues français à la planification concertée des actions au travers d’une charte, à la délimitation précise des missions de chaque acteur et à l’importance des missions d’animation, malgré leur coût, tant par le Parc pour les acteurs de territoire en général que par les organismes forestiers pour les propriétaires privés. Mais la portée de ce travail d’animation et de sensibilisation va bien au-delà des forestiers ou même des habitants du Parc : les visiteurs acquièrent ainsi une autre perception des rôles de la forêt et des gens qui y travaillent ou qui s’y promènent et par les actions démonstratives, les jeunes s’engagent dans ces filières en connaissance de cause.